CARACAS, 1er mai 2012
Repris de la liste "Débats" de la FASE :
"Un article passionnant sur la nouvelle loi
du travail au Venezuela :
Cet article donne beaucoup d'idées sur les droits des travailleurs dans l'entreprise et ailleurs, question évidemment décisive pour penser la transition écologique et sociale de l'économie, l'implication des travailleurs et le rôle du législateur.
Je crois qu'on peut lire en filigrane dans cette loi une démarche d'ensemble intégrant les droits des travailleurs (et donc la "responsabilité sociale des entreprises") dans la diversité des formes d'entreprise (capitalistes privées, publiques, coopératives, mixtes). Je crois aussi qu'il y aurait beaucoup de leçons à tirer de cette expérience vénézuelienne pour ici, avec toutes les idées nouvellement popularisées par la lutte de Fralib et d'autres, et dans le contexte des attentes qu'on peut formuler vis-à-vis du nouveau gouvernement de gauche.
Il faudrait pouvoir discuter plus en détail la relation entre l'affirmation des droits des travailleurs via cette loi et la perspective d'une alternative au capitalisme par diverses formes de prise en main de l'économie par les travailleurs et les citoyens. Il faudrait sans doute aussi s'informer plus en détail sur le rapport entre ce qui est écrit dans cette loi et ce qui se passe réellement sur le terrain dans les entreprises (à ma connaissance la loi sur les coopératives il y a quelques années, pourtant très intéressante sur le papier, avait connu pas mal de déboires dans son application concrète !)."
Voici l'article, à retrouver ici sur le site venezuelainfos.wordpress.
La nouvelle Loi du Travail célébrée en grande pompe par les
travailleurs vénézuéliens ce 1er mai 2012 est un vieux rêve devenu
réalité au bout d’un débat citoyen qui a duré près de trois ans. Plus de
19000 propositions ont été remises par toutes sortes d’organisations de
travailleurs, syndicats, coordinations, etc.. à la commission
présidentielle chargée d’élaborer le projet. Avec la Constitution
Bolivarienne, c’est le texte de loi qui a le plus bénéficié de la
participation populaire.
Nous avions rendu compte de ce débat national il y a quelques semaines : “Le Venezuela ouvre le débat pour construire une nouvelle loi du travail“
Résultat : la loi signée le 30 avril 2012 par le président Chavez
brise enfin le carcan néo-libéral où les gouvernements antérieurs
avaient étouffé les droits sociaux. Depuis le 2 mai la loi (dont on peut lire ici le texte intégral en espagnol)
circule gratuitement sur internet et de main en main, massivement, dans
plusieurs journaux. Sauf dans ceux de l’opposition qui relaient les
critiques patronales contre la loi, contre l’égalité homme/femme, contre
l’augmentation des indemnités dues aux travailleurs, etc… Des réunions
seront organisées partout dans les mois qui viennent, notamment par les
syndicats, pour continuer à faire connaître la loi et pour qu’elle soit
un levier de nouvelles transformations.
Points forts : l’égalité entre hommes et femmes ; l’interdiction de la sous-traitance du travail ; les conseils de travailleurs.
Ceux-ci ne substituent pas les syndicats (qui voient leurs prérogatives
renforcées par la loi). Leur fonction, bientôt développée par une loi
spéciale, est de promouvoir la participation des travailleurs et de la
communauté vivant autour des centres de travail, dans la gestion des
entreprises. Ainsi que de lutter contre la spéculation, l’accaparement
des produits de première nécessité.
Détail amusant (qui rappelle l’extrême misère de l’information sur le
Venezuela en France) : pour occulter le débat citoyen à la base de
cette loi, le Monde et l’AFP
n’ont rien trouvé de mieux que de la présenter comme une épreuve de
force entre un autocrate et son opposition. Saluons cette nouvelle
victoire du droit des lecteurs qu’on “informe” sur une Loi du travail
sans donner la parole à un seul des millions de travailleurs concernés
mais en la donnant… au patronat.
Cette loi s’accompagne par ailleurs d’une nouvelle augmentation du
salaire minimum, qui en fait le plus élevé d’Amérique Latine. Une
augmentation du pouvoir d’achat protégéee par la baisse continue de
l’inflation depuis cinq mois consécutifs (0,8% en avril), par une loi de
contrôle des prix pour les produits de première nécessité et l’offre
concomitante de biens bon marché produits par les entreprises
nationalisées.
Voici un résumé (non exhaustif) de quelques uns des droits dont jouissent à présent les travailleurs vénézuéliens.
Les indemnités auxquelles aura droit le travailleur
lors de la fin ou lors de la rupture d’un contrat seront calculées en
fonction du dernier salaire. Le travailleur y a droit de manière
immédiate, tout retard dans le paiement entraînant des intérêts
supplémentaires à lui verser. Ce calcul d’indemnités a un effet
rétroactif à partir de de juin 1997, date à laquelle le gouvernement
néo-libéral de Rafael Caldera et de Teodoro Petkoff avait modifié la loi
au détriment des travailleurs. A présent le patron devra verser pour
chaque trimestre et à chaque travailleur une somme équivalant à 15 jours
de salaire. (Art. 141 y 142).
DAVANTAGE DE BÉNÉFICES NON SALARIAUX. La loi crée
des avantages nouveaux (non décomptables des cotisations et des épargnes
déjà établies en faveur des travailleurs) : notamment le remboursement
de soins médicaux, l’octroi de bourses ou le financement de formations,
de spécialisations. (Art. 105)
SANTÉ ET ÉDUCATION GRATUITES PROTÈGENT LE REVENU DU TRAVAILLEUR. (Art. 97)
DURÉE DU TRAVAIL. La durée du travail qui était
jusqu’ici de 44 heures (ce qui obligeait à travailler les samedis) se
réduit à 40 heures hebdomadaires (Art. 173). L’idée est d’avancer
progressivement vers plus de temps libre (Art. 174)
SIX MOIS DE CONGÉ PRÉ- ET POST-NATAL (six semaines
avant l’accouchement et vingt semaines ensuite) (Art. 336 y 338). Les
pères auront droit de leur côté à quatorze jours de congé à partir de la
naissance de leur enfant (Art. 339). Les parents sont désormais
protégés contre toute forme de licenciement durant deux années à partir
de l’accouchement. La loi prévoit des avantages semblables en cas
d’adoption. L’idée est de permettre à l’enfant d’être mieux accueilli,
mieux entouré affectivement par ses parents . Des repos quotidiens sont
prévus pour l’allaitement des nourrissons (Art. 335-330-345)
LA SOUS-TRAITANCE DU TRAVAIL EST INTERDITE. Cette
pratique s’était étendue à toute l’Amérique latine depuis les années 90
avec la néo-libéralisation du continent. On estime qu’au Venezuela 1
million 200 mille travailleurs en sont victimes.
RETOUR DE LA DOUBLE INDEMNISATION, comme l’avait
annoncé le président Hugo Chávez peu avant la promulgation de la loi. Ce
mécanisme vise à sanctionner le patron qui effectue un licenciement
injustifié, et à compenser la perte de l’emploi pour le travailleur en
doublant ses indemnités de licenciement (Art. 92)
LE PATRON PAIERA PLUS S’IL LICENCIE. Tandis qu’en
Europe les politiques d’ajustement visent à rendre les licenciement
moins chers pour le patronat, au Venezuela la nouvelle loi en élève le
coût pour le patron (Art. 92)
QUINZE JOURS D’INDEMNITÉS DE VACANCES, c’est ce que devra payer à présent le patron au travailleur en plus du salaire normal (Art 192).
PLUS DE JOURS FÉRIÉS. La nouvelle loi prévoit quatre jours fériés de plus en faveur des travailleurs (Art. 184).
VACANCES OBLIGATOIRES. Le travailleur devra jouir de ses vacances de manière effective et obligatoire (Art 197).
LE CALCUL DES DIVIDENDES ET AUTRES BÉNÉFICES DE FIN D’ANNÉE DÛS AU TRAVAILLEUR
se fera a présent sur la base de trente jours au lieu de quinze. La
fourchette va donc à présent de trente jours minimum à quatre mois
maximum de salaires (Art. 131-132). Les organisations syndicales
pourront aussi inspecter les comptes de l’entreprise pour déterminer si
ce qui est versé aux travailleurs reflète bien la réalité des bénéfices
de l’entreprise (Art. 133-138)
Sanctions légales contre les patrons délinquants, avec DE POSSIBLES PEINES D’EMPRISONNEMENT. Nouveauté
introduite par la loi, la détention comme mécanisme de sanction en cas
d’infraction à la loi par un patron. Exemples d’infractions: le refus de
réembaucher un travailleur, la violation du droit de grève, le refus
d’appliquer ou l’obstruction aux actes des autorités du Travail. Ces
infractions seront sanctionnées par une mesure de détention de six à
quinze mois. (Art. 512, 538)
LA FERMETURE D’UN CENTRE DE TRAVAIL sera également
cause d’une mesure de détention qui peut aller de six à quinze mois
selon le verdict des organes juridiques compétents de la République.
Toute récidive est punie d’une peine augmentée (Art. 539-540)
TRAVAILLEURS FIXES DÈS LE PREMIER MOIS. Les
travailleurs de durée indéterminée (comme de durée déterminée, ou à la
tâche) seront considérés comme fixes par la loi dès le premier mois et
non à partir de trois mois (en fin de période d’essai) comme auparavant.
Dans la loi antérieure le patron pouvait rompre le contrat en payant
simplement la valeur de celui-ci au travailleur ou en s’appuyant sur les
causes de licenciement (Art. 87).
ENTREPRISES SOUS CONTRÔLE OUVRIER : c’est le
mécanisme établi par la loi pour faire face à la fermeture illégale ou
frauduleuse d’entreprises et de centres de travail. Si le patron ne se
soumet pas à l’ordonnance de reprise des activités productives, le
Ministère du travail réunira les travailleurs pour former une instance
d’administration et réactiver la production. Dans ce Conseil
d’Administration Spécial est prévue la participation du patron. Si
celui-ci s’y refuse, le contrôle revient totalement aux travailleurs. La
loi prévoit la possibilité que l’État offre son assistance technique et
participe à la gestion à travers les ministères compétents (Art. 149)
CE N’EST QU’APRÈS LE PAIEMENT DES TRAVAILLEURS et
quand ceux-ci s’estiment pleinement satisfaits que les tribunaux peuvent
désormais procéder à la déclaration de faillites. Le paiement des
salaires est prioritaire par rapport à tout autre engagement de
l’entreprise. (Art. 150-151)
CONTRE LE HARCÈLEMENT MORAL AU TRAVAIL ET SEXUEL.
La loi interdit tout autant ce harcèlement au travail que sexuel et
établit les sanctions. Elle définit le harcèlement au travail comme la
pression constante et la conduite abusive exercée par le patron ou ses
représentants ou un travailleur portant atteinte à la dignité ou à
l’intégrité bio-psycho-sociale d’un travailleur. Le harcèlement sexuel
est défini comme l’imposition d’une conduite sexuelle non désirée et non
demandée, exercée de manière isolée ou de manière répétée par le patron
ou ses représentants contre le travailleur. La norme légale établit à
présent que l’État, les travailleurs, leurs organisations sociales, les
patrons sont dans l’obligation de promouvoir des actions qui
garantissent la prévention, l’enquête, la sanction, ainsi que la
diffusion, le traitement, le suivi et l’appui aux dénonciations de
harcèlement. (Art. 164-166)
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